Shaana mordillait sa plume, assise sur un rocher au coeur de la forêt d'Elwynn. Le parchemin devant elle restait vierge, une fois de plus. Sans doute un signe du destin, sans doute était il trop tôt.
Elle venait de fuir la foule de Stormwind, après quelques déboires avec un frere voleur, qui avait tenté de lui faire les poches, une jeune humaine insolente qui lui avait ordonné de l'aider à faire une invocation, et surtout, un drole de druide, sous sa forme féline, qu'il semblait ne plus pouvoir abandonner.
Pour une solitaire comme elle, ca faisait un peu trop en quelques heures. Elle n'était pas prête de remettre les pieds dans cette ville humaine. Au moins, au coeur de la forêt, elle se sentait bien. Un peu comme chez elle. Darnassus était loin, et commencait à lui manquer. Pas les gens, non. Juste la forêt. Les odeurs, l'air tiède et humide du printemps, la paix des puits de lune ou du temple de la Déesse...
Son esprit vagabondait. Elle regarda a nouveau le parchemin et l'encre séchée au bout de sa plume. Pourquoi était elle toujours tentée d'écrire à cet elfe ? Ca faisait longtemps maintenant. Elle n'vait cessé de penser à ses mots, depuis qu'elle l'avait rencontré. Pas tant les mots en fait, plutot la passion, le coeur, qu'il mettait à son discours.
Elle avait été profondément troublée, marquée par cette passion désinterressée pour la Paix. Shaana ne ressentait rien pour la Horde. Ni amour, ni haine, juste de l'indifference. Comme envers tous les inconnus en somme. Certe, elle avait entendu parler de la guerre, mais elle n'en avait jamais souffert. Ses parents vivaient loin, retirés au fin fond de la forêt d'Ashenvale. Et elle ne s'était jamais vraiment interressée à la politque.
Elle se rendait compte aujourd'hui, qu'elle était bien inculte. Mais elle s'en fichait. Elle avait trouvé auprès des animaux un bien être qu'elle ne ressentait pas en présence de ses freres de sang, ou des autres races de l'alliance.
Elle avait quitté sa famille depuis quelques mois maintenant. Son père l'avait traitée de jeune écervelée, et sa mère avait soupiré en invoquant la Déesse. Voyager, voila ce qu'elle voulait. Voir le monde et ses beautés. Voir le soleil se coucher sur la mer, et la lune éclairer le désert. Sentir l'embrun caresser sa peau, ecouter le chant des merles dans des forêts inconnues, sentir la neige crisser sous ses pas...
Elle avait rencontré l'elfe par hasard, alors qu'elle tentait de faire une bonne action pour l'orphelinat humain. Elle, qui avait tant de mal à supporter ses semblables, avait du supporter pendant des heures les gérémiades et pleurnicheries d'un enfant humain. Il lui avait fait traverser le monde. C'est sur le barrage de Loch Modan qu'elle avait rencontré l'elfe. Il semblait perplexe. Lui aussi s'occupait d'un jeune humain. Comme s'ils s'étaient donné le mot, ces enfants réclamaient tous une glace. Une jeune voleuse qui partageait son infortune avait offert la glace à Gardhran. Enfin, un nom comme ca. Elle avait du mal a s'en souvenir.
C'est étrange comme ses paroles l'avait marquée, et comme elle avait pourtant du mal à se souvenir de son nom. C'est ce qui avait toujours arrêté sa plume jusque là. Comment écrire à quelqu'un, en commencant par écorcher son nom ?
Shaana reboucha l'encrier. Une fois de plus, elle abandonnait. Curieusement, comme s'il lisait ses pensées, Shano posa sa douce tête blanche sur la main de Shaana l'empechant d'achever son geste. Il la suivait depuis longtemps maintenant, et elle s'était toujours fiée à son instinct de félin.
Avec un soupir, elle posa le bouchon de l'encrier, trempa sa plume, et commenca à écrire :
Isera'duna frère Gardhran
Veuillez me pardonner si j'écorche votre nom, mais mes souvenirs sont anciens, et ma plume malhabile.
Vous m'avez sans doute oubliée, mais voila de cela plusieurs semaines, en haut du donjon de Theramore, je vous ai écouté parler de la Paix.
Vos mots résonnent encore à mes oreilles, et vous avez su toucher mon coeur.
Voila longtemps maintenant que je parcoure le monde, à la recherche de mon destin. Voila longtemps aussi que je regarde mes frères oeuvrer pour la Paix ou la Guerre, selon leurs aspirations. Je ne vous cacherai pas que tout ceci m'est étranger. Mais il arrive un jour où chaque être doit trouver sa voie.
Vous avez su toucher mon coeur avec vos mots, aussi aujourd'hui accepteriez vous que mes fleches défendent votre idéal et que ma plume oeuvre à vos côtés pour une Paix future ?
O'Mandalas mon frère, qu'Elune vous garde, vous et les votres.
Shaana An'Eada
Shaana reboucha soigneusement l'encrier, et avec une caresse sur la tête de Shano, repris en silence le chemin de la civilisation, pour trouver une boite aux lettres.