Un rêve de plus

Il l’attendait depuis un moment déjà, l’observant depuis l’autre bout de la place principale de Hurlevent, adossé à l’entrée de l’auberge de la Rose doré.

Il faisait mine de ne pas la connaître, mais le sourire en coin qu’il affichait ouvertement n’aurait laissé aucun doute quand à cela pour un observateur averti. Et qui pouvait bien prendre garde à eux ? La place grouillait de monde, vaquant à ses affaires en cette fin de journée, et la jeune elfe se permis de le dévisager de loin, détaillant sa silhouette des pieds à la tête alors qu’elle savait déjà tout de lui. Ce sourire qu’elle avait tant embrassé, ces yeux qui l’avaient contemplée plantés droit dans les siens alors que leurs visages étaient si proches, ces longs cheveux où elle rêvait de passer à nouveau ses doigts…

Envolée toute morale qui aurait pu les retenir, c’est le cœur battant qu’elle répondit à son invitation muette de le suivre à l’intérieur. Des pensées désordonnées traversaient son esprit tandis qu’elle entrait dans l’édifice et le suivait à l’étage, souvenirs de nuits qu’ils avait partagées, de draps froissés et d’étreintes avides…Et une petite voix presque inaudible qu’elle fit bien vite taire, et qui l’intimait de faire demi-tour, celle de la raison qu’elle avait abandonnée en le rencontrant…

Aurait-elle du dire non alors qu’ils le désiraient tous les deux ? Refuser de céder à ce qui la tourmentait ? L’elfe aurait aimé pouvoir répondre à ces questions, si elle l’avait réellement voulu. Mais le voulait-elle…

Elle n’hésita pas et franchit le seuil de la chambre, refermant silencieusement la porte derrière elle.


Larmulynne s’éveilla en sursaut, suffoquant presque. Ses yeux écarquillés mirent un long instant à fixer le ciel avant qu’elle reprenne conscience, et réalise l’endroit où elle s’était assoupie. Adossée contre le tronc d’un des arbres immenses qui peuplaient la terre des druides, son regard vagabonda de la surface du lac Elune’ara au ciel piqueté d’étoiles, et elle passa le dos de sa main sur son front couvert d’une légère sueur froide. Ces rêves ne cesseraient-ils donc jamais…

C’est en tremblant un peu qu’elle se releva, et parcourut les quelques mètres qui la séparaient du bord de l’eau pour s’y agenouiller et s’en jeter un peu au visage, recueillant l’onde dans ses mains jointes en coupe. Préférait-elle les songes de mort et de folie qui hantaient ses nuits, il y a encore récemment ? Ou ceux-ci, réminiscence de regrets et de tristesse ? Elle ne voulait pas répondre à ces questions, et l’esprit du félin qui s’était à nouveau éveillé en elle gronda tout bas, sentant la douleur vive qui enserrait encore un peu son cœur.

Peu importait, ce temps là était passé et ne reviendrait plus. Autant aller de l’avant, encore et toujours…

Et oublier…

Une salle d’auberge quasi vide, éclairée par quelques chandelles dégoulinantes de cire, une elfe assise dans un recoin sombre un peu à l’écart, une bourse en cuir rebondie posée sur la table devant elle.

Eowy hésitait à y toucher. Elle avala une gorgée de bière que lui avait servi Bruuk et fixa à nouveau le petit sac, les yeux brillants de curiosité à peine contenue, un peu inquiète aussi. Son aînée le lui avait confié avant son départ pour l’Outreterre, entre quelques chuchotements indistincts, et l’elfe avait deviné qu’elle ne le récupérerait certainement pas, vu les décisions qu’elle avait prises et les erreurs qu’elle avait commises.

Soupirant, elle jeta quelques coups d’oeils autour d’elle et entreprit de délacer les liens qui maintenaient le sac clos.

Secouant la bourse au dessus du bois vermoulu de la table, elle contempla ce qui y gisait. Des lettres adressées à sa soeur, soigneusement repliées, qu’elle défroissa rapidement avant de les mettre de côté, gênée par leur contenu trop intime et la signature qui y était apposée. Délicatement, elle lissa une plume à la pointe tachée d’encre, et dénoua la chaînette qui y était enroulée, pour la porter devant ses yeux. Le rubis qui y était pendu scintilla un court instant, un cadeau ancien sans doute, et son regard se porta ensuite sur les menus objets encore entassés. Une larme perla au coin de ses yeux quand elle découvrit une longue mèche de cheveux bleus entourée d’un ruban, auquel était lié un fin anneau terni par le temps.

Eowy soupira, et enfouit son visage dans ses mains. Sa sœur avait fait exactement ce qu’elle avait dit, et abandonné ceux qui l’avaient abandonnée en partant en Outreterre. Et comme toujours, elle était partie seule.

Elle héla Bruuk et recommanda une chopine d’ale naine, soupirant de l’inconséquence de Larmulynne, ses yeux brillants d’une ferme intention de veiller sur elle à nouveau.