Ratchet - 6è jour de la décade du Gorille - Cinquième ère.
Une petite foule est amassée sur les quais de la cité portuaire, cité libre, certes, mais si proche des terres de la Horde où elle forme une enclave que l'influence de ces derniers est majeure. Un petit groupe de deux orcs, un réprouvé et un troll est sorti de la taverne, visiblement échauffé. L'un d'eux, un peu plus lucide ou au contaire plus aviné que les autres, réquisitionne une caisse, l'escalade et arrangue la foule sous l'acclamation de ses trois compères.
Il émet un appel aux armes.
Le barde de LunArgent ne peut laisser faire. Il se trahirait lui-même et son clan par la même occasion. Alors, sans peur, il monte sur la barrière qui surplombe la dernière placette avant les quais. Et là, de sa voix entrainée, il harangue lui aussi la foule :
"Quel dommage que certains préfèrent satisfaire leur orgueil personnel plutôt que travailler au bien de leur peuple. Que de gâchis à l'heure où pointe une nouvelle menace. Quel est votre vrai but, agresseurs d'Astranaar, de la Croisée ou d'ailleurs ? Votre propre malheur ? Alors vous y oeuvrez à merveille. Vous ne trouverez que larmes, mort et douleur sur votre chemin.
Et quand, à l'heure du bilan, vous en prendrez conscience, un horrible goût de gâchis et de perdition viendra encore nourrir la noirceur de ces âmes que seuls quelques rares coups d'éclat, satisfactions ponctuelles d'un égo futil, auront égayé d'une fausse lueur.
Oubliez vos mesquines querelles, oubliez vos douleurs enracinées, ouvrez vos coeurs à la prospérité et au bonheur. Il y a de la place pour chacun sur nos vastes terres et nos dirigeants, dans leur sagesse, en ont pris conscience, tout autant qu'ils ont pris la mesure de l'imminence de la menace qui pèse sur nos épaules.
Réveillez-vous, combattants de tous bords, renoncez à ces petits plaisirs immédiats qui ne font que nourrir un égoïsme inadapté tout en clairsemant vos rangs. Mettez vos bras et vos esprits au service d'une cause qui nous dépasse tous. Les LunArgent, à Andorhal, ont montré que la victoire était possible, que l'espoir était permis. Soyons unis, soyons forts, ensemble : là est la seule vraie victoire !"
La population avait tardé à réagir. Les mots ne trouvaient pas vraiment d'écho dans ces esprits rompus aux négociations commerciales et pour qui ce qui ne rapportait pas n'avait pas de valeur. Le gain immédiat était leur plus grande motivation, si bien qu'il fallut attendre les dernières phrases pour que les paroles du barde rencontrent un semblant d'écho positif.
Les quatre compères étaient frustrés, mais il n'en ressentait aucune joie, bien au contraire. C'est eux, en premier lieu, qu'il aurait fallu convaincre, car c'est eux qui transmettait la maladie de la haine à leurs frères en proférant leur chant de morts aux accents si séduisants. Oh, il ne fallait pas se faire d'illusion : ils recrutèrent bien deux ou trois irréductibles qui se joignirent à eux avec des regards assassins à l'orateur de LunArgent. Mais au moins nul mouvement d'ampleur n'était né : la tentative était morte dans l'oeuf. Il trouverait bien un moment pour dialoguer plus tard avec ces quatre là.